Envie d’un retour à la terre ? Il suffit de mettre le cap sur la Faïencerie de Gien, dans le Loiret. La manufacture créée en 1821 détient un formidable savoir-faire en matière de vaisselle en faïence, mélange d’argile, de sable et de kaolin (une argile blanche et friable) cuit et émaillé. Au XIXe siècle, la fabrique, ville dans la ville avec ses logements, son dispensaire et son école, compte jusqu’à 1 500 salariés. Aujourd’hui, une partie des bâtiments a disparu mais, dans les ateliers qui ont subsisté, 150 femmes et hommes perpétuent ces gestes venus d’un autre temps. Si certaines machines permettent de modeler rapidement les assiettes rondes, carrées ou rectangulaires, toute la vaisselle « en forme » (vases, soupières, théières, tasses…) est réalisée à la main.
La fabrication débute dans l’atelier de moulage. A partir de dessins, l’équipe conçoit des modèles en plâtre qui permettent ensuite de créer les moules. On y coule un mélange liquide qui, après démoulage et plusieurs séchages, est cuit dans un four à 1120 °C. Toutes les pièces font l’objet d’un strict contrôle : seules 6 sur 100 sont cuites, puis plongées dans un bain d’émail, pour leur donner brillance et étanchéité. Autre étape clé de fabrication : la pose, avant une dernière cuisson, de décors colorés et d’une grande finesse, marque de fabrique de la vaisselle de Gien. Les peintres ou « peinteuses » travaillent sur des pièces déjà illustrées – seuls les liserés colorés sont peints directement à main levée. Les motifs sont appliqués grâce à un papier de soie imprimé à l’aide d’une plaque de cuivre gravée.
Mêler archives et artistes contemporains
Autre option : le « chromo », sorte de décalcomanie délicatement posé sur la vaisselle. Une technique que l’on retrouve sur des collections emblématiques comme la ligne Alice et ses petites fleurs bleues, Océan, semée de coquillages, ou encore Indigo, récemment développée avec la céramiste Brigitte de Bazelaire par la nouvelle directrice artistique Marielle Hénon-Dhuicque. Arrivée en juillet 2015, après avoir longtemps travaillé pour Sentou, une enseigne parisienne spécialisée dans le design et l’art de vivre, Marielle a pour mission de rafraîchir la maison. « La faïencerie a été rachetée en 2014 par Yves de Talhouët et Pascal d’Halluin, deux passionnés qui souhaitent protéger la tradition tout en injectant une touche de modernité, confirme-t-elle. Je puise mon inspiration dans les archives de Gien, puis sollicite des artistes contemporains. La collection Indigo symbolise cette démarche. Brigitte a déstructuré le décor Rouen 32, qui date du XIXe siècle, et a joué avec les tons de bleu. Le service se mélange pour un effet dépareillé, très apprécié aujourd’hui. »
Un nouveau souffle
Et en matière de réinterprétation, il y a, à Gien, un potentiel illimité. La manufacture, qui propose en permanence 300 références, conserve dans son grenier 4 000 moules, des objets décoratifs aux pots de chambre, et 5 000 plaques de cuivre gravées de dessins ! C’est dans cet incroyable patrimoine que Marielle Hénon-Dhuicque fouille, comme une archéologue, pour sortir des tasses des années 1970, qu’elle transforme en gobelets empilables, ou un pichet kitsch orné d’un perroquet en relief qui, paré d’anthracite ou de bleu encre, revient dans l’air du temps. Elle dépoussière une assiette à artichaut désuète : agrandie et accompagnée d’un bol, voilà un kit pour l’apéritif… Résultat : deux grands magasins de luxe, Bergdorf Goodman à New York et Isetan à Tokyo, référencent depuis peu les créations de la faïencerie de Gien. Labellisée Entreprise du patrimoine vivant, la société trouve un nouveau souffle. Elle produit 700 000 à 900 000 pièces chaque année, et réalise 30 % de son chiffre d’affaires grâce à l’exportation. Ou comment des objets si délicats deviennent des ambassadeurs de choc de l’excellence à la française.
Vanessa Zocchetti